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1890-1891 : un hiver désormais impossible aujourd'hui ?

Dés la fin du mois de novembre 1890, les parisiens regardent la Seine charrier des glaçons... Archives meteo-paris.com

 

Le récit de la vague de froid de l'hiver 1890-1891 pourrait paraître totalement surréaliste de nos jours. Cette vague de froid début en effet le 26 novembre 1890 pour se terminer le 20 janvier 1891 ! A Paris, la Seine est entièrement gelée du 11 au 24 janvier et la température minimale est paradoxalement mesurée le 28 novembre, atteint -15°C. C’est d’ailleurs la température la plus basses jamais enregistrée au cours d’un mois de novembre depuis 1788. Ce froid affecte toute la France, y compris le nord de l’Algérie. La Loire gèle dés le 15 décembre à Nantes.

 

 

Un froid massif, durable et très étendu... 

 

Après une douceur inhabituelle (11°C à Paris le 24 novembre 1890), le froid s’abat brutalement le 26 novembre. Deux jours plus tard, la température plonge à -15°C à Paris, marquant la température la plus basse de l’hiver.  Il s’agit de la vague de froid la plus intense jamais observée à la fin d’un mois de novembre depuis 1788.  Si l’épisode persiste jusqu’au 20 janvier, il est moins intense que celui de décembre 1879 et se caractérise par une quasi-absence de neige à l’arrivée des grands froids de fin novembre.  Par conséquent, les semis de blés d’automne et d’avoines, non protégés, sont totalement perdus. Les gels et regels successifs de février et mars achèvent la destruction des céréales, et dans le Nord, le sol gèle sur une profondeur de 85 à 90 cm.  Dans l’extrême Sud, le froid est plus rigoureux qu’en décembre 1879, et de nombreuses souches de vignes sont fendues par les gelées à Montpellier.  L’air polaire atteint même le nord de l’Algérie, où le thermomètre affiche jusqu’à -13°C à Sétif, tandis que 25 cm de neige recouvrent Alger.

 

La vague de froid de janvier 1891 ne touche pas seulement la France métropolitaine. Alger est enseveli sous la neige ! Une rue de la ville haute…

 

À Nantes, la Loire est suffisamment gelée pour être traversée à pied à partir du 15 décembre, et la neige atteint 13 cm d’épaisseur.  À Paris, la Seine est entièrement gelée du 12 au 24 janvier. Un bar à vins s’installe même temporairement au milieu de la Seine, à la hauteur de Bercy. Cependant, en prévision d’accidents possibles, la préfecture de police affiche une ordonnance interdisant « le passage et les glissades sur la Seine, la Marne et les canaux ». Des agents sont postés à intervalles réguliers sur les berges, tandis que la foule se disperse lentement vers les quais.

 

Seine gelée à Paris en janvier 1891 - photo légèrement restaurée - meteo-paris.com

 

 

La bourgeoisie patine sur les étangs…

 

Comme toujours, un contraste saisissant se dessine entre ceux qui apprécient le froid et ceux qui le subissent.  Ceux qui en profitent sont sans surprise issus de la petite ou de la haute bourgeoisie.  Le patinage est une activité populaire, et l’étang du Bois de Boulogne à Paris est particulièrement fréquenté.  On y pratique également le fauteuil-traineau et la chaise à patins, traditions qui perdureront jusqu’aux années 1960. Pour certains, c’est l’occasion rêvée de se faire remarquer. Les dames arborent de longues robes d’hiver, de manteaux de fourrures et des chapeaux extravagants. Chuter serait donc une gêne considérable, car se relever serait une épreuve. Les hommes, quant à eux, patinent généralement en costume sobre et portent tous un chapeau.

 

Patinage sur le lac du Bois de Boulogne (paris), lors de la vague de froid de décembre 1890 - archives meteo-paris.com

 

 

Tandis que les pauvres souffrent particulièrement de ce froid…


À l’inverse, les pauvres ne sont guère ravis de ces conditions rigoureuses, et cette vague de froid met en lumière une misère profonde qui touche l’opinion publique (peut-être plus qu’en 1879).  La Chambre des députés, par exemple, vote un crédit de deux millions de francs pour venir en aide aux démunis, et les initiatives privées se multiplient (elles témoignent d’un esprit de solidarité bien plus présent qu’aujourd’hui, à l’ère de l’individualisme et du « chacun pour soi »). Le Palais des Arts-Libéraux, l’un des bâtiments de l’Exposition universelle de 1889, est ainsi transformé en asile de nuit chauffé et équipé de couchettes. Le président de la République, M. Carnot, visite un centre le 22 janvier où 800 réfugiés attendent la distribution de la soupe. L’entrée est ouverte de 18 heures à 22 heures. Chaque homme reçoit en entrant sa gamelle contenant un litre de soupe composée de 125 grammes de pain et de 100 grammes de légumes, tels que haricots, pois, riz et pommes de terre, puis il va se coucher. Une nouvelle distribution de soupe a lieu à 7 heures du matin, et l’asile est évacué pour le nettoyage, l’aérage, l’assainissement ou la désinfection. Il convient de noter que l’asile accueille majoritairement des hommes (plus de 95 %). En temps normal, Paris compte environ 8 000 vagabonds, tandis que lors d’une vague de froid comme celle-ci, les asiles en reçoivent 12 000.

Les morts de France se comptent par centaines et peut-être par milliers, y compris chez les jeunes, comme ces petits ramoneurs mort de froid, et qui font la couverture du journal le petit illustrer de l'époque.

 

La couverture du journal "le Petit illustré" lors de la vague de froid du début du mois de janvier 1891 - collection meteo-paris.com

 

 

La mer du Nord finit même par geler !

 

Après plus d'un mois de température négative, non seulement les fleuves gèle au moins en partie, mais la mer du Nord, et certains littoraux français commencent à se figer… Le vapeur anglais Ashton est même pris dans les glaces au large d'Ostende en Belgique !

 

Le vapeur anglais Ashton pris dans les glaces au large d'Ostende en Belgique, en janvier 1891

 

A cette époque, le réseau de stations météo se densifie progressivement à travers le monde, mais la météorologie n’en est qu’à ses débuts.  Le développement de ce réseau mondial a débuté sous l’impulsion de Napoléon III, le 17 février 1855.Les journaux ne présentaient alors aucune prévision météo, et ce n’est qu’après un phénomène exceptionnel qu’une explication était éventuellement proposée.  Dans l’Illustration de janvier 1891, on peut lire : « Quelle loi météorologique régit les saisons ? Voilà une question qui nous est adressée de toutes parts et à laquelle nous aimerions pouvoir répondre. Si la connaissance du temps est encore à ses débuts et infiniment éloignée des certitudes qui font la gloire de l’astronomie, ce n’est pas une raison pour désespérer d’arriver jamais à aucun résultat (…) ».  À la fin de cette vague de froid, le journal tente d’expliquer comment le froid avait pu déferler sur la France à l’aide de cartes européennes très techniques et dans un langage très académique.

 

 

Les leçons de la débâcle de janvier 1880 

 

À la fin de cette vague de froid, et pour éviter les énormes dégâts causés par la débâcle de janvier 1880, les troupes du génie ont procédé à de nombreux dynamitages de la banquise de glace, notamment au niveau d’Asnières.  Pour anecdote, l’extraction des blocs de l’étang du Bois de Boulogne permettait de remplir les glacières de la ville de Paris.

 

Débâcle de la Seine lors du dégel du 21 janvier 1891 - La ruptures des glaces auprès du Pont de Neuilly par des Remorqueurs

 

 

Auteur : Guillaume Séchet

Photo de Guillaume SECHETHistoire du site Météo Grenoble